Bèlè

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La question de l’origine du bèlè répond à une vraie problématique, liée au passé tumultueux de la Martinique.

En effet, diverses civilisations ont peuplé l’île, et elle a donc bénéficié d’apports culturels très divers. Du IIIème au IXème siècle, les Arawaks ont peuplé l’île.            Ils furent décimés vers la fin du IXème siècle par les Caraïbes, qui occupèrent l’île jusqu’au XVIIème siècle, exterminés à leur tour par les Européens. En 1635, les premiers colons s’installaient à la Martinique, et en 1638 débutait la première traite négrière, qui allait durer jusqu’en 1848, date de l’abolition de l’esclavage. Les esclaves étaient issus de différentes régions d’Afrique noire et appartenaient à différents peuples de langue et de traditions différentes. Les ethnies les plus représentées selon les historiens étaient les Aradas, les Congolais, les Sénégalais et les Bambaras. Ces noms désignent les esclaves selon leur provenance géographique, et regroupent plusieurs groupes ethniques différents. Ainsi, les Aradas venaient de la Côte d’Ivoire à la Côte d’Or, ou encore les Alladas, qui venaient d’une ville du bénin actuel.

De cette transplantation de la culture noire, de l’influence européenne et des contraintes du système esclavagiste naît une altération des traditions musicales africaines et leur modification donne naissance à de nouvelles expressions musicales. Le bèlè en est une.

Il ne s’agit pas de l’addition de cultures, mais d’un processus transculturel dans lequel il est difficile de déterminer la provenance de chaque élément. La musique bèlè présente des traits musicaux issus de différentes cultures, et transformés pendant des générations. On peut cependant déterminer des influences prédominantes. De l’Afrique, elle a hérité des rythmes et de l’indissociabilité des chants et danses. De même, l’utilisation de la peau du tambour et d’un idiophone percuté sur sa caisse est une formule très répandue sur le continent Africain, particulièrement chez les bambaras. On la retrouve aussi à Cuba avec la rumba, à Sainte-Lucie, en Haïti, régions ayant connu aussi un apport important de peuples africains. Au-delà des instruments, les similitudes dans la danse et les rythmes sont frappantes avec la rumba populaire de la Havane et la capoiera du Brésil. L’influence européenne est moins évidente dans la musique par rapport à d’autres répertoires comme la haute-taille. Mais dans la danse, elle semble évidente : le quadrille serait hérité du XVIIIème et se serait imposé comme modèle. Par contre, les figures chorégraphiques, la gestuelle et certains pas qui accompagnent les mouvements des danseurs trouveraient leur origine en Afrique. En dehors de la danse, il est difficile de déterminer les apports européens. La musique est pour l’essentiel basée sur les percussions, et le style des chants avec les répondeurs rappelle les formules africaines. En revanche, la mélodie des chants et la langue créole seraient issues du syncrétisme Europe-Afrique.

Désormais fierté de tous les Martiniquais, le bèlè a ses maîtres, ses anciens. Benoît Rastocle, Félix Caserus, Marcel Jupiter, Berthé Grivalliers font partie de ces passeurs de mémoire de l’identité martiniquaise. Source (le monde.fr).

Qu’est ce que le bèlè?

Le bèlè (appelé aussi  » bel air  » suivant la francisation du mot créole) est un genre musical dans lequel un chanteur mène la musique avec une voix qui porte, alors que se développe le dialogue entre les danseurs et le tambouyé (joueur de tambour).

Il se structure toujours de la façon suivante : le chanteur (ou la chanteuse) donne la voix, suivi des répondè (répondeurs) ; le ti-bwa donne le rythme, et enfin le tambour fait son entrée, suivi des danseurs et danseuses.

Les répondè : doivent toujours donner la bonne phrase, les bonnes intonations, et garder le rythme sous peine de déconcentrer le chanteur, et d’entraîner un déséquilibre dans la musique.

Le ti-bwa : confectionné à partir de deux baguettes, branchettes d’arbres ligneux et durs (goyaviers, tibom, caféier) que l’on taille et fait sécher au soleil. Il est joué par un ti-bwatè (joueur de ti-bwa) sur la partie arrière du tambour bèlè et marque le rythme au son de  tak-pi-tak-pi-tak.

Le bèlè en lui-même est composé de plusieurs musiques :

  • les bèlès de travail : fouyé tè, rédi-bwa, téraj kay, coupé kan-n, mazon-n et granson,
  • les bèlès de divertissement : bèlè, gran bèlè, bélia, kalennda, danmyé et ladja,
  • les bèlès pour veillées mortuaires : bénézuel, kanigwé, karésé yo, ting bang,
  • les danses « la lin’ klè  » : mabèlo, woulé, mango.

Ces musiques se jouent donc à des moments bien précis : Elles accompagnent la journée.

Aux temps anciens, les champs de cacao et de café étaient assez éloignés les uns des autres et s’étalaient sur de grandes étendues à flanc de montagne. On chantait le gran son en retournant son champ. Les coups de houe étaient rythmés par les kon’ lambi (conques de lambi) et le bouillonnement de la terre raconté par le tambour à timbre. Le grand son était chanté par deux solistes masculins ayant une large étendue de voix. On retournait la terre en allant vers le sommet de la montagne, après quoi, on la sillonnait en descendant la montagne et le mazon-n, chant pour une seule voix accompagnait cette phase du travail avec toujours deux kon’ lambi qui marquaient le coup de houe.

Les chants, outre leur fonction de rythmer le travail, permettaient de raconter l’histoire de l’île, de la communauté, du voisinage, de relater avec ironie les différends entre colons, les déboires d’un camarade ou d’un contremaître… Après la journée, on dansait le Ladja ou le Danmyé.

Le danmyé permet de se délasser après le labeur ; son rythme est rapide et enjoué. Il invite à danser. C’est aussi une forme douce de la danse interdite de ladja.
Le Ladja est une danse de combat accompagnée de tambour, ti-bwa et chant. Il fut interdit par l’Eglise catholique à cause de l’utilisation du tambour (les africains utilisaient le tambour pour communiquer avec leurs divinités). Plus lent que le danmyé, ce qui lui donne un caractère plus grave, il était pratiqué le samedi soir. Seuls les majô (majors en français) dansent le Ladja qui s’achève parfois par la mort d’un des combattants.

On appelle major un danseur qui fait autorité. Ses seules armes sont son corps, son agilité, son intelligence. Le Ladja nécessite une préparation longue et rigoureuse des majors et fait appel à une maîtrise d’éléments paranormaux, surnaturels, que certains qualifient de quimbois, rite équivalent au vaudou haïtien.

Aujourd’hui, trois foyers de bèlè peuvent être retrouvés en Martinique : au nord caraïbe (Basse-Pointe et ses environs), Sainte-Marie, et sud (Anses d’Arlets, Diamant). La Maison du bèlè présente une exposition des Anciens du bèlè de Sainte-Marie, et son travail actuel consiste à se rapprocher d’anciens des autres communes pour les sortir de l’ombre et les mettre aussi à l’honneur.

Le tambour bèlè

“À l’origine, il y aurait eu des tentatives de faire des tambours directement à partir de troncs, ‘bwa fouillé’, mais ça ne s’est pas développé. Ce sont donc les tonneliers qui ont fabriqué les tambours. La maîtrise de la tonnellerie était très importante à l’époque, notamment pour l’expédition des fûts de rhum. Certains tonneliers étaient experts en façonnage de tonneaux et, tout naturellement, ils ont commencé à fabriquer des tambours. C’était plus facile que de fouiller le bois, surtout sachant que les esclaves n’avaient pas d’outils.

Le tambour bèlè est recouvert d’une peau de cabri ou de mouton. En effet, sa sonorité est proche de la terre, un peu sourde: donc pas de peau de bœuf (même si l’on m’a déjà offert un tambour en peau de mulet…).

Pour serrer le tambour, on utilisait ce qu’on avait sous la main: un cercle de fer sur lequel on adapte différents matériaux végétaux (paille de banane, cordes…). Et on le serrait très fort.       Mais sans intégrer le système de serrage au tambour lui-même, à l’inverse de ce qu’on trouve en Guadeloupe pour le tambour gwoka, par exemple, dont on peut régler la tension de la peau avec un jeu de cordes.

Le tambour se joue couché, l’ouverture recouverte de peau étant légèrement relevée. La technique du joueur de tambour bèlè implique le mouvement de pied, de talon, pour modifier la sonorité. C’est une frappe frottée, frappée (et non pas verticale, directe, comme sur les tambours tenus verticalement).

Le jeu principal est fait par la main droite. Et l’on se sert des première et deuxième phalanges des doigts pour frapper sur le bord du tambour. La dextérité du tambouyé fait qu’il y a plusieurs techniques de doigts, et des variantes dans le jeu. Il faut le faire pendant la frappe principale de la main droite et ensuite l’adapter au rythme que l’on joue.”

Il est intéressant de noter qu’en Martinique beaucoup de musiciens jouaient le gwoka guadeloupéen avant le mouvement de reconnaissance de la tradition bèlè. “Il faut saluer le militantisme de mon père et de son entourage, qui se sont battus pour valoriser les anciens, les mèt’ bèlè (maître de bèlè), afin qu’ils communiquent et qu’il n’y ait pas de rupture de transmission entre les anciens et les nouveaux, affirme Manuel Mondésir. Il y a cinq ans en Martinique, tout le monde dansait la salsa. Aujourd’hui, c’est le bèlè. Tous les projets mis en œuvre autour du bèlè font qu’aujourd’hui, les Martiniquais sont fiers de leur musique.”

Le bèlè, ses rythmes et ses danses

Référence électronique : François BENSIGNOR,

«Martinique: bèlè d’hier et d’aujourd’hui», Hommes & migrations

http://journals.openedition.org/hommesmigrations/698
DOI: https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.698 “Le bèlè se compose de différents rythmes, à 2 temps, à 3 temps ou à 4 temps. Le ‘bèlè rapid’, le ‘bèlè douce’ et le ‘bèlè pityé’ sont joués sur des rythmes à 2 ou 4 temps.            Le ‘gran’ bèlè’, le ‘belya’ et le ‘marim bèlè’ sont des danses à 3 temps. Dans le bèlè, on danse courbé, les genoux fléchis, à la différence par exemple du ‘danmié’, qui est une danse de combat. Dans ses mouvements de lutte, le danseur de ‘danmié’ doit pouvoir rebondir, lancer les pieds et les bras.
Il y a quelque chose de suspendu dans le rythme, avec des syncopes qui accompagnent les mouvements et des ‘coups d’attente’ qui permettent au danseur de se repositionner.

La kalenda, autre rythme à 4 temps, est la seule danse en Martinique qui se danse seul.”

“Les principales danses du noyau bèlè se dansent selon une structure carrée, comme le quadrille ou le gran bèlè. Dans la chorégraphie du quadrille, deux carrés s’entrecroisent de manière structurée. Mais à l’intérieur des deux carrés, les danseurs se livrent à des prouesses individuelles, par deux…

Il faut donc intégrer les codes gestuels et relationnels entre les danseurs dans le déplacement.      La grâce, les échanges dans la danse, les rencontres rythmiques suffisent à intéresser un spectateur qui découvre le quadrille.

Les danses bèlè à 2 et 4 temps se décomposent en ‘bèlè kourant”, ‘bèlè rapid’, ‘bèlè pityé’ et ‘bèlè douce’. Quant à celles à trois temps, ce sont le ‘gran bèlè’, le ‘beliya’ et le ‘marim’ bèlè'”.

“De plus, on a intégré dans la swaré bèlè des danses faisant partie de jeux au clair de lune, qui n’étaient pas toujours accompagnées de tambours. Ce sont des danses en ronde, en ligne, qui impliquent des jeux entre les danseurs. Par exemple, le ‘venezuel’, le ‘kanigwé’, le ‘woulé mango’ ou le ‘timbank’, dansé en rond. Toutes ces danses vont se succéder au cours d’une swaré.
Il faut noter que les pratiques diffèrent entre le nord et le sud de l’île. Une même danse peut aussi avoir des exécutions différentes. Disons qu’il existe un noyau central de la danse bèlè et que l’on découvre progressivement les différentes pratiques avec l’expérience.

“Les grands maîtres du bèlè” :

Ti Émile (Emmanuel Casérus), Ti Raoul (Raoul Grivalliers), Victor Treffe, Galfétè, Félix Casérus, Dulténor Casérus, Vava Grivalliers, Berthé Grivalliers, Clothaire Grivalliers, Féfé Marolany, Paul Rastocle, Benoit Rastocle, Carmélite Rastocle, Apollon Vallade, Félix Cébarec, Génius Cébarec dit Galfètè, Stéphane Cébarec, Boniface Cébarec, Saint-Ange Victoire, Robert Dessart, Siméline Rangon, Espélisane Sainte-Rose, Sully Villageois, Dartagnan Laport (célèbre famille de fabricants de tambours), Julien Saban (Bèlè Baspwent).

La nouvelle génération :

Eugène Mona (1943-1991), L’AM4 (Georges et Pierre Dru), Kannigwé, La Sosso et le groupe Wapa, Edmond Mondésir et son groupe Bèlènou, XTremjam, Bèlè Boumbap de Kali, Lassao, Sully Cally, Jean-Philippe Grivalliers, Boris Reine-Adelaide, Jean-Pierre Mitrail (Alblana), Vwa bèl danm, Nénéto, Lébéloka, Bélya, Vaïty, Bèlè Légliz, Lèspri Danmyé, Manuéla M’La Bapté, Stella Gonis, Icess Madjoumba, Artana.
(wikipedia)
Fondement de la société martiniquaise, le bèlè est un art complet de la parole, du rythme, de la musique et de la danse. Folklorisée au cours du xxe siècle, rejetée par les élites, cette pratique populaire jouit d’un retour en grâce fulgurant. Depuis une dizaine d’années, événements et écoles se multiplient. De jeunes artistes s’en emparent pour le faire évoluer…

(Référence électronique : François BENSIGNOR,

«Martinique: bèlè d’hier et d’aujourd’hui», Hommes & migrations)

http://journals.openedition.org/hommesmigrations/698
DOI: https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.698

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